jeudi 8 mars 2012

KONY 2012 : quand le web part à la chasse d’un criminel de guerre


Ce nom ne vous dit rien ? C’est normal. 99,9% des gens dans le monde ne le connaissent pas.
Et c’est ce ratio que le projet « Invisible Children » veut inverser.
Après les révolutions arabes, le web et les réseaux sociaux s’emparent d’une nouvelle cause politique : la lutte contre un criminel de guerre.
La Guerre 2.0 est désormais à la portée de tous les citoyens et la communication se fait on ne peut plus politique.
Je veux comprendre... le projet Kony 2012 kony

  Explications.


 Depuis le 20 février 2012, le collectif américain « Invisible Children » diffuse une vidéo de 30mn sur Internet afin de médiatiser le cas de Joseph KONY, Chef des rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (« LRA » pour « Lord's Resistance Army ») qui sévit entre l'Ouganda et le Soudan.

Qui est Joseph KONY ?
Joseph KONY dirige un groupe armé qui, depuis 1987 au moins, mène une insurrection contre le Président ougandais Yoweri Museveni.
Joseph Kony, ici sur un cliché datant de 2006, ensanglante l'Afrique centrale depuis plus de vingt ans.
Son but ? Installer un système théocratique fondé sur les principes de la Bible et des Dix Commandements.
Pour cela, il mènerait tant des attaques contre l’armée ougandaise et le Gouvernement, que contre les populations civiles.
Mais Joseph KONY n'est pas un inconnu pour la justice internationale.

KONY est visé par un mandat d’arrêt international de la Cour Pénale Internationale depuis le 8 juillet 2005.

Et le descriptif des faits qui lui sont reprochés fait peur à voir :

«  la LRA se serait engagée dans un cycle de violence et aurait établi un régime de « brutalisation des civils » par des actes comprenant le meurtre, l’enlèvement, la réduction en esclavage sexuel, la mutilation ainsi que l’incendie d’un très grand nombre de logements et la pillage des camps ; des civils enlevés, dont des enfants, auraient été « enrôlés » de force comme combattants, porteurs et esclaves sexuels pour servir le LRA et participer à des attaques contre l’armée ougandaise et des communautés civiles ».

Non, ce n'est pas un film hollywoodien, mais la réalité dans cette partie d'Afrique depuis près de 25 ans !!!
La LRA de Joseph KONY emploierait ainsi entre 80 et 90% d’enfants soldats, kidnappés dès leur jeune âge pour devenir des bêtes de guerre ou des prostituées serviles...

Et que s’est-il passé depuis toutes ces années ?

Rien, ou presque !
Et pourtant, ces exactions ont été dénoncées tant par le Gouvernement ougandais que par plusieurs sources indépendantes dont l’ONU, des institutions gouvernementales, des ONG et des organes d’informations internationaux.


La création d’Invisible Children
En 2003, trois jeunes réalisateurs de documentaires californiens, Jason, Laren et Bobby voyagent en Afrique à la recherche d’un bon sujet.
Ils découvrent et réalisent l’ampleur de l’horreur en Ouganda et produisent leur documentaire : « Invisible Children: Rough Cut », sorti en 2005.
Mais ils décident de ne pas en rester là, selon leur leitmotiv : « do more than just watch »
Depuis San Diego, ils décident donc de faire d’Invisible Children un véritable lobby organisé.
Puisqu’aucun enjeu économique, politique ou géostratégique ne fait bouger les pouvoirs publics, ils vont médiatiser l’affaire, et la médiatiser à outrance, car seule la pression populaire pourra les inciter à agir et mettre fin à ces crimes.
Grâce à leur talent de storytellers, cela semble porter ses fruits.
Les dons en ligne sont très simples et leur boutique permet de lever des fonds en vendant T-shirts, bracelets et kits d’action.

En mai 2010, le Congrès des États-Unis vote la Lord's Resistance Army Disarmament and Northern Uganda Recovery Act of 2009 relatif au désarmement de la LRA.
Le 14 octobre 2011, le Président des États-Unis Barack Obama annonce l'envoi d'une centaine de conseillers militaires en Ouganda, République démocratique du Congo, Centrafrique et Soudan du Sud afin d'aider les forces de la région qui luttent contre la LRA.
L'objectif de cette intervention est la capture du chef de la LRA, Joseph KONY.

Médiatiser pour mieux juger ?
Afin de continuer à mettre la pression sur les pouvoirs publics, la vidéo KONY 2012 est donc lancée fin février. Mise en ligne sur YouTube le 5 mars, elle enflamme les réseaux sociaux tels Twitter et Facebook atteignant rapidement plusieurs dizaines de millions de vues.
Il s’agit de ne pas seulement demander l’arrestation de Joseph KONY, mais également de fixer une date : l’année 2012, afin de mettre encore plus de pression.
Seulement, Joseph KONY est un homme prudent, et encore plus depuis la création d’Invisible Children.
Alors que le visage de Ben Laden était connu de tous, qu’il avait frappé les USA en plein-cœur, il fallut plus de 10 ans pour le retrouver.
Le projet KONY 2012 cherche donc à médiatiser le visage de Joseph KONY, l’exposer un maximum, pour que nulle part il ne puisse se dissimuler.
Pour cela, l’ensemble des relais mass media habituels sont mis à contribution : chanteurs, acteurs, sportifs…
Prochaine étape : l’organisation de « Cover the night » le 20 avril 2012 : il s'agit, en une nuit, de recouvrir les lieux publics du portrait de Joseph KONY afin d’alerter l'opinion publique et de rendre visible l’invisible.

Dérives potentielles d’une telle stratégie de communication
Comme toujours, les critiques existent : Invisible Children dépenserait plus en com’ que pour aider directement les populations (mais c’est bien là toute la stratégie…) ; jeune association, ses comptes ne seraient pas forcément rigoureusement tenus ; la situation en Ouganda serait plus complexe que le projet KONY 2012 laisse paraître…
Face à cela, Invisible Children cherche à être le plus transparent possible, avec notamment des audits de leurs comptes :

Graphic
L’engouement actuel provient de l’atrocité des crimes commis, de la saine stimulation du sentiment de révolte qui ne peut que germer en chacun de nous face à de tels actes.
Mais l’engouement provient aussi du caractère novateur d’un tel mouvement, de son originalité.
Et si leur slogan est « do more than just watch » par un don, un like ou un tweet, est-ce vraiment foncièrement différent ?
Cela me fait penser à « We Are the World », emblématique chanson caritative enregistrée en 1985 par le collectif américain « USA for Africa », réunissant 44 artistes, dont  Lionel Richie, Michael Jackson, Tina Turner, Bob Dylan, Ray Charles, Stevie Wonder Bruce Springsteen ou Paul Simon…
Le single est devenu l'un des plus vendus au monde avec plus de 20 millions d'exemplaires écoulés et a réussi à récolter plus de 63 millions de dollars pour l'aide humanitaire en Afrique et aux États-Unis. Mais les choses ont-elles vraiment changé ?
Et 25 ans plus tard, qu’a donné « We Are the World 25 for Haiti » ?
Bref, l'initative est belle, même si elle peut apparaître d'un certain côté effrayante.
Pouvoir mobiliser si vite, partout, sur une seule cause, ne présente que des avantages tant que la cause est louable.
Mais les dérives sont aisément imaginables.

La communication politique peut aussi être citoyenne, et pour ça, Jason, Laren et Bobby nous prouvent que le 21ème siècle sera celui de toutes les initiatives !


Voici la vidéo de 30mn, en anglais, (traduction française ici)
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